Septembre Tiberghien

Arachnophilie

Quoi de plus fascinant que de voir une araignée tisser sa toile ? Cette petite bête qui provoque répulsion et dégoût, voire parfois une phobie maladive, possède pourtant un talent extraordinaire pour confectionner des pièges dignes des plus fines broderies. Jeune, je n’hésitais pas à attraper sauterelles et autres menus insectes qui passaient à ma portée pour les précipiter dans une toile telles des offrandes. Je la voyais ensuite rappliquer précipitamment pour emballer ses victimes en un tour de pattes. Sans nul doute, c’était un geste sadique de ma part – Freud ne dit-il pas que les enfants sont des pervers polymorphes ? – mais hautement instructif.

Or, il semblerait qu’au moins une artiste partage mon enthousiasme pour cette épeire détestée, au point même d’avoir adopté temporairement son mode de production. Car, c’est le moins qu’on
puisse dire, Géraldine Py ne fait pas dans la dentelle. Contrairement aux apparences, elle s’intéresse davantage aux grues et aux pelles mécaniques qu’aux travaux de couture. Avec son compagnon, l’artiste Roberto Verde, ils créent généralement des installations et sculptures cinétiques drôles et envoutantes. Rien avoir avec le design ni le textile, et pourtant…

Dans l’exposition sise au 9 rue de l’Autonomie à Bruxelles, on découvre une œuvre qui intrigue par sa composition et laisse les uns rêveurs, les autres perplexes. Dans un présentoir vitré sont disposés de petits agrégats d’objets, reliés entre eux par de mystérieux fils. Grâce à un ingénieux dispositif d’éclairage, de petits trous percés à même le socle dans lesquels sont insérés des LED, on peut distinguer toute la délicatesse et la fragilité de cet assemblage. Ce n’est qu’après avoir discuté avec les artistes que l’on comprend enfin que c’est la salive un brin amidonné de Géraldine qui sert de liant à ces véritables petits bijoux d’orfèvrerie.

Si l’on a vu plusieurs artistes contemporains depuis le début des années 1960 utiliser des matières ou des résidus corporels dans le but de faire œuvre, depuis la célèbre Merde d’artiste de Piero Manzoni, jusqu’au très controversé Piss Christ d’Andres Serrano, d’aucuns n’a vraiment réussit à dépasser l’aura de mysticisme ou encore les revendications identitaires généralement associées à ce genre de pratique corporelle. Chez Géraldine Py et Roberto Verde toutefois, la substance est utilisée pour elle-même, non pas en tant qu’objet d’art ou comme relique sacrée, mais simplement pour sa propriété adhésive. C’est pourquoi on peut s’interroger sur la pérennité de son existence, ce qui ne réduit en rien la beauté et la portée poétique du geste. Comme dans la légende d’Arachné, tirée de La Divine Comédie de Dante, Géraldine se métamorphose en femme-araignée.

Septembre Tiberghien, mai 2011