Julie Portier

Géraldine Py & Roberto Verde : science et vie

Leurs univers respectifs étaient « en attente d’hybridation ». S’ils s’étaient rencontrés dans une bibliothèque, c’eut été à l’intersection entre le théâtre de Beckett et le rayon des sciences dures. Géraldine Py – équipée d’une clé à molette – a apporté les enzymes littéraires, Roberto Verde – un germinateur sous le bras – la théorie scientifique. La solution esthétique obtenue est « plus complexe » (au sens moléculaire) que les formules qu’ils développaient chacun de leur côté, elle orchestrant des mécaniques au travail d’une poésie de l’absurde, lui explorant les enjeux d’un « art pauvre » en utilisant les éléments naturels. C’est à un autre croisement que le duo puise la vitalité de son oeuvre, entre l’art et d’autres disciplines spécialistes dont ils n’ont de cesse de se faire les apprentis. Ainsi ont-ils tour à tour côtoyé le savoir des vétérinaires, des maîtres d’oeuvre du bâtiment, des entomologistes ou des climatologues. Ce n’est pas pour la fantaisie de l’excursion, c’est un principe méthodologique.
Même si Py et Verde désignent leurs héritages historiques (chez Roman Signer, Fischli & Weiss ou Francis Alÿs), selon eux, il n’est plus temps pour leur génération de pratiquer un art autoréférentiel. Il s’agit « de renouveler l’air », et cette appropriation singulière des sciences et techniques ouvre une fenêtre. Leurs oeuvres ne parlent pas d’art -et si la forme nourrit parfois les débats esthétiques sur la performance, la sculpture ou l’oeuvre sonore, ce n’est qu’un effet secondaire-, c’est sûr, elles parlent de la vie, tant de ses absurdités que de ses urgences.
Leur atelier est un laboratoire d’esthétique pour un empirisme domestique. Il fallait bien qu’il soit vaste (première raison qui les a attirés à Bruxelles), pour abriter toutes ces expériences, et toute cette ménagerie. Car Py & Verde font des élevages, de souris blanches aviatrices (dans la performance Hommage à Géraldine Py, 2008), d’escargots qui se prennent pour Schwitters (Cartonville, 2009), de capricornes xylophages musiciens (Le dépeupleur, 2012), de stégobies architectes (Le village de sarrasin, 2013), pas encore d’élevage de poussière mais de limaille de fer affectueuse (Les touffes, 2011), de salive orfèvre (Fils de bave, 2009), et bientôt, ils y travaillent, de tourbillons et d’orages pour petit comité. Parfois, ils les oublient avant de constater avec surprise que leurs compagnons ont travaillé en leur absence, comme les stégobies, ces minuscules insectes endémiques, le cauchemar des meuniers, qui se sont réveillées au printemps pour commencer à sculpter comme de la dentelle un paquet de nouilles de sarrasin. Le phénomène entropique contrôlé produit une miniature de ruine romantique, aussi époustouflante que fragile ; l’action des artistes consistant à conserver cet écosystème de la destruction, soigner les parasites. Cette économie esthétique repose sur un efficace système de valorisation des déchets et d’optimisation des nuisibles, renversant les normes sanitaires et la logique productiviste dans un mouvement éminemment symbolique, et diablement humoristique. En observant la résistance des fils de bave ou la dignité de la panna cotta en situation sismique (Twist again, 2010), le duo nous fait méditer sur notre manière d’habiter le monde et avant qu’il ne finisse, nous profitons de ces récréations incrédules.

Julie Portier, 2014, article pour le Quotidien de l’art n°558