Tentative d’appropriation de l’espace sonore urbain.
Sur un chantier, quand la journée de travail se termine, la pelleteuse prend sa position pour la nuit, au repos jusqu’au lendemain. En général, la pelle est posée au sol et abandonne sa fonction de contenant. Même chose pour la grue, la betonnière est hissée en hauteur. Il s’agit de placer des ghetto-blasters dans les bennes. Même chose avec les contenants suspendus au crochet des grues. La benne devient réservoir de musique. Le chantier est souvent considéré comme perturbateur autant visuel que sonore, même s’il véhicule l’image d’une amélioration. La même machine qui fait du bruit la journée, ferait de la musique le soir : une métamorphose de l’outil de travail et de l’objet qu’il produit, une passivité devenant productrice de poésie. Parfois aussi, on assiste à un autre phénomène d’optimisation pour la nuit : le matériel est sécurisé en étant placé dans une brouette, attachée au crochet de la grue puis hissée suffisamment haut pour dissuader quiconque de venir se servir, un peu comme si le ghetto-blaster et la musique qu’il diffuse pouvaient être protégés par la benne appuyée contre la façade. Ces inscriptions sonores musicalisent la ville et sont un chant de sirènes indiquant la fin d’une journée de travail. Il est intéressant de réfléchir à la manière dont les éléments et infrastructures de travail urbain peuvent accueillir des projets artistiques par le biais d’une intervention minimale, rapide et peu coûteuse (en l’occurence par le simple placement d’un guetto-blaster dans une benne, transformant ainsi l’affectation de la machine puis par extension celle du chantier). Une intervention intersticielle, voisine, précaire, presque clandestine, autant d’adjectifs qu’il est intéressant de considérer aujourd’hui comme constitutifs de la ville (telles que sont admises les notions de pérennité ou d’efficacité excluant parfois l’habitant d’un potentiel territoire/terrain de jeu/espace d’expérimentation).